JEAN-MARC SIMON

Interview paru le 18 septembre 2015 dans le quotidien ivoirien

FRATERNITE MATIN

 

 

1) Vous étiez ambassadeur de France en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui vous êtes simplement ambassadeur de France. Quelle est la différence?

Un ambassadeur accrédité dans un pays donné exerce une fonction, celle de chef de mission diplomatique, pour un temps limité. Il s’agit généralement d’un haut-fonctionnaire ayant le grade de ministre plénipotentiaire.

Le titre d’« Ambassadeur de France» est une dignité accordée à vie par le gouvernement à quelques ambassadeurs  qu’il veut particulièrement honorer.

 

 

2) Vous étiez en Côte d’Ivoire au moment de l’élection de 2010 et de ce que l’on a appelé la crise post-électorale. Quels souvenirs en avez-vous gardé et quelles leçons pourraient s’en dégager?

Ce fut une période extrêmement intense, dangereuse aussi. J’en garde le souvenir d’un immense gâchis  car rien ne peut justifier que l’on fasse tuer des milliers de ses concitoyens pour demeurer au pouvoir. S’il n’y avait eu l’intervention des Nations-Unies, appuyée par la France,  la Côte d’Ivoire était sur le point de basculer dans une terrifiante guerre civile. Je demeure ébranlé par ce que j’ai vu et vécu. Un peuple pacifique qui va aux urnes, qui montre, dans la dignité et la confiance, sa volonté de tourner définitivement la page de dix années de crise et qui en moins de quelques semaines se retrouve soumis à l’horreur des bombardements, des assassinats, des enlèvements…

Vous savez cela donne envie de crier son indignation et d’agir.

 

3) A quoi vous occupez-vous aujourd’hui?

Je ne manque pas d’activités ! J’appartiens à diverses associations à caractère culturel à Paris ou en Picardie,  le Musée  d’Art et la Société d’Histoire de Senlis, la Fondation Charles de Gaulle, l’Académie des Sciences d’Outre-Mer… Je suis député suppléant de l’Oise et enfin j’ai créé une société de conseil,« Eurafrique Stratégies », destinée à appuyer les efforts de certaines entreprises qui souhaitent s’implanter, investir en Afrique et créer ainsi de l’emploi.

 

4) Allez-vous, comme un certain nombre de témoins ou acteurs de notre crise publier un jour un livre?

Ce livre est achevé ! Il est actuellement proposé à un éditeur. Intitulé « Secrets d’Afrique », il évoque trente ans de politique africaine de la France, de François Mitterrand à François Hollande à travers les expériences que j’ai vécues sur le terrain ou à Paris. Deux chapitres sont consacrés à la Côte d’Ivoire. L’un tente d’expliquer les origines de la crise depuis la disparition du Président Houphouët-Boigny et l’autre s’attache à dérouler tous les évènements qui se sont produits du  premier tour de l’élection présidentielle en octobre 2010 jusqu’à l’investiture du Président Ouattara en mai 2011.

 

5) Vous venez souvent en Côte d’Ivoire. Comment selon vous le pays a-t-il évolué durant ces presque cinq années de règne de M. Alassane Ouattara?

Je dois dire que je suis impressionné par le caractère spectaculaire des résultats obtenus depuis quatre ans. A chacun de mes voyages, je remarque des changements importants. Depuis quatre ans le taux de croissance s’approche des deux chiffres,  c’est cette régularité qui est importante et peut permettre de lutter efficacement contre la pauvreté. Lorsque le seul souci du développement et de la  paix guide la gouvernance, ces évolutions ne sont guère surprenantes.

Bien sûr,  tout n’est pas parfait ! l y a encore du chemin à faire, dans le domaine social notamment avec l’accès aux services de base, les hôpitaux, l’eau, l’électricité mais reconnaissons que la Côte d’Ivoire revient de loin et que des progrès significatifs ont d’ores et déjà été réalisés ces dernières années. Il est facile de critiquer et de déplorer que la bouteille ne soit qu’à  demi-pleine mais n’oublions pas qu’il y a cinq ans elle était vide, dramatiquement vide !

Le pays est gouverné avec efficacité et souplesse, sans déclarations intempestives ni promesses démagogiques. Le Président Ouattara est à l’écoute de ses compatriotes et disposé au dialogue. Il est regrettable que certains refusent cette main tendue en persistant,  malgré les leçons de l’Histoire, dans leurs erreurs funestes en s’arcboutant sur la haine et la rancune.

 

6) Nous irons bientôt à de nouvelles élections et l’on sent la tension monter. Avez-vous des craintes?

Non je n’ai aucune crainte sérieuse à cet égard même si une poignée de nostalgiques de temps révolus, il y en a toujours, rêvent de créer l’insécurité pour masquer leur peu de représentativité.

Le peuple ivoirien a fait la preuve de sa maturité, il ne se laissera pas entraîner, j’en suis persuadé, dans de telles dérives.

 

7) On entend dire que le président Ouattara aurait échoué sur le plan de la réconciliation. Qu’en pense l’observateur que vous êtes?

Le Président  Ouattara a tendu la main à son adversaire de 2010, aux lendemains même  du scrutin et tout au long de la crise post-électorale. Il est regrettable que la réciproque n’ait pas été vraie. Selon ce que j’observe,  les ivoiriens ont tourné la page des années de crise. A aucun prix  ils ne veulent que la politique puisse encore déboucher sur des violences. Je me suis même demandé si la réconciliation n’avait pas été accomplie le 11 avril 2011 lorsqu’il a été définitivement mis fin à la guerre.

Les victimes ont été entendues, les coupables, en tout cas la plupart d’entre eux, ont été jugés et condamnés. Beaucoup d’entre eux ont recouvré la liberté.

La grande question de l’opposition Nord-Sud ou chrétiens-musulmans a trouvé sa solution puisqu’au sein du RHDP,différentes composantes de la Nation ivoirienne gèrent ensemble le pays. Il reste à convaincre les populations encre réticentes qu’elles aussi sont entendues et doivent participer au développement du pays.

 

8) Comment faire, selon vous, pour que les élections en Afrique ne soient plus source de conflits?

Il est vrai que trop souvent encore en Afrique  les perdants ont du mal à accepter  leur défaite même s’ils ne vont  pas jusqu’aux extrémités qu’a connues  la Côte d’Ivoire. Encore faut-il constater que les choses évoluent sensiblement à cet égard et que le plus souvent aujourd’hui  les alternances s’effectuent paisiblement. Le Sénégal, le Ghana, le Nigéria en sont des exemples récents en Afrique Occidentale.

Latransparence des scrutins, avec des contrôles et des observations intérieures ou internationales,  le développement de l’esprit civique et de la culture démocratique, la promotion de grands partis de gouvernement dont les projets et les programmes l’emportent sur les préoccupations  ethniques sont des pistes à suivre pour en finir avec les conflits électoraux.

 

9) Récemment certains journaux ont publié un rapport dont ils vous ont attribué la paternité. Vous avez démenti sur RFI. Allez-vous porter plainte contre les auteurs de ce faux?

J’ai eu en effet l’occasion de me prononcer sur ces manipulations scandaleuses qui ne sont pas sans rappeler les pratiques éhontées utilisées en d’autres temps par les régimes totalitaires.

Je me réserve naturellement le droit de poursuivre en  Justice les auteurs de ces écrits diffamatoires sur les réseaux internet ou dans certains livres.

 

 

10) Vous avez participé aux débats organisés par le journal Le Monde. Croyez-vous que l’Afrique soit l’avenir du monde?

Depuis la chute du mur de Berlin et après la domination passagèred’une unique hyper puissance, nous sommes aujourd’hui dans un Monde globalisé, un système multipolaire où l’Afrique a toute sa place et toutes ses chances.

Ce Continent, encore le moins développé de la Planète, possède un énorme potentiel en ressources naturelles telles que l’eau ou  les sources d’énergiemais aussi en en capital humain avec notamment une importante croissance démographique.Ces deux réalités, en se conjuguant et en s’appuyant l’une sur l’autre,conféreront inéluctablement à l’Afrique un rôle majeur au XXIème siècle. Son dynamisme économique et culturel, sa place géostratégique, la destinent  ainsi à participer désormais aux grands débats mondiaux, sur un pied d’égalité avec les autres puissances.

Elle y parviendra d’autant plus vite qu’elle saura résoudre ses conflits internes liés le plus souvent à des considérations ethniques. Le renforcement de l’Etat et simultanément la montée en puissance de grands espaces d’intégration régionale faciliteront cette évolution. De même que la formation et son corollaire, l’accès des jeunes  à l’emploi,en sont aussi un des préalables./.